Beaucoup de débats concernant les jeux vidéo (mais il en va de même concernant le cinéma ou toute autre domaine artistique) sont souvent des dialogues de sourds absurdes parce que les interlocuteurs ne se sont pas accordés sur une théorie évaluative et que la discussion repose sur des équivoques. Les uns se veulent "objectifs" tandis que les autres proclament la "subjectivité".
Ces deux approches découlent de deux théories de la valeur apparemment opposées.
LE DILEMME CLASSIQUE ET SES CONSÉQUENCES
La théorie soi-disant "objective" (qui usurpe son nom comme je l'expliquerais plus bas) prétend que la valeur d'un jeu est inhérente au jeu lui-même, indépendamment du joueur qui évalue. D'après cette approche, il serait théoriquement possible qu'un jeu soit "objectivement" bon même si aucun individu n'éprouvait la moindre satisfaction à y jouer, voir même si personne n'y jouait. Comme on fait totalement abstraction de celui ou celle qui évalue, on peut aussi déduire de cette approche que tel jeu vidéo aurait autant de valeur pour un bébé que pour un adulte, ou encore que tel jeu vidéo aurait plus de valeur pour un chien que de jouer à la balle.
La théorie "subjective" prétend que la valeur d'un jeu réside exclusivement dans une décision ou un jugement arbitraire du joueur. N'importe quel jeu peut être bon ou mauvais si le joueur en décide ainsi. Que le jeu procure satisfaction ou non, qu'il apporte effectivement quelque chose au joueur ou non, si ce dernier décrète qu'il est mauvais ou bon, c'est la seule chose qui compte. (En dernier ressort, cette position nie l'existence de la réalité au profit de la seule existence de jugements arbitraires.) Cette approche implique que c'est l'individu seul qui selon son désir, peut décider que le jeu va lui apporter quelque chose et lui fournir satisfaction. Comme on fait presque totalement abstraction du jeu, on peut déduire de cette approche qu'un individu pourrait évaluer un jeu avant même d'y jouer, ou même sans y jouer du tout.
Remarquez que ces deux approches ont plusieurs points communs. Tout d'abord, elles sont toutes deux déconnectées de l'expérience de jeu. Aucune ne tient compte par exemple de la satisfaction que fournit le jeu au joueur. Or la satisfaction éprouvée est un fait objectif et la reconnaissance des faits s'appelle l'objectivité.
QU'EST-CE QUE L'OBJECTIVITÉ ?
Le mot a plusieurs sens, il peut vouloir dire "impartial" par exemple, et dans ce sens, quelqu'un d'objectif serait celui qui juge sans influence exterieure. Dans le contexte d'une théorie de la valeur, ce n'est pas suffisant. Tandis que le subjectivité pure désigne une indépendance du jugement vis-à-vis de la réalité extérieure, voir dans certains cas une négation totale de la réalité extérieure (« L'homme est la mesure de toute chose. »), l'objectivité désigne une relation entre la réalité et le jugement. Plus précisément, il s'agit d'une démarche de l'intellect vers la réalité (et donc ceci implique la reconnaissance de cette réalité).
Ainsi, la reconnaissance d'une valeur objective ne signifie pas que celle-ci est indépendante du sujet qui évalue, ni qu'elle peut être arbitrairement n'importe quoi selon le désir ou le caprice de l'individu : elle signifie la reconnaissance du fait objectif que ceci est bon pour moi, que c'est une réalité de fait.
TROIS APPROCHES
Dès lors, on voit que la théorie soi-disant "objective" de la valeur (celle que j'ai décrit au début) usurpe son nom, car elle affirme l'indépendance de la valeur sur celui qui évalue, en d'autres termes elle affirme une valeur, non pas objective, mais intrinsèque (dans le jeu). En tout état de cause, elle devrait donc s'apeller "théorie de la valeur intrinsèque" ou intrincisme pour prendre un néologisme plus court.
Quoi qu'il en soit de la sémantique, il faut identifier et distinguer le sens des trois approches. En résumé nous avons trois théories évaluatives :
- Dans le jeu (valeur intrinsèque).
- Dans la décision du joueur (valeur subjective).
- Dans l'expérience du jeu (valeur objective).
L'autre point commun entre le subjectivisme et l'intrincisme, c'est qu'ils partent tous les deux du divorce entre la réalité et l'individu, s'accordant ainsi sur le même dilemme. La seule chose qui les différencie, c'est le côté qu'elles ont choisi de défendre.
D'ailleurs, ces deux approches sont tellement similaires qu'un même individu peut soutenir les deux théories en même temps, et on l'observe souvent lorsqu'un joueur déclare par exemple : « Je n'ai pas aimé, même si objectivement ce jeu est bon. » ou à l'inverse : « J'ai aimé, même si objectivement le jeu est mauvais. »
Or ceci a autant de sens que de déclarer : « Je déteste manger telle nourriture même si objectivement c'est délicieux. » Ou : « J'aime manger telle nourriture même si objectivement c'est dégoûtant. » La nourriture n'est ni intrinsèquement bonne, ni bonne par la décision de celui qui mange, elle est objectivement bonne (ou mauvaise) pour la personne qui mange. Le mangeur ne décide pas de la valeur, il la découvre ou la constate. Elle s'impose à lui. Pour autant, cette valeur n'existe pas en dehors du mangeur. Une même nourriture peut être objectivement mauvaise pour quelqu'un d'autre, ou pour un être vivant non-humain.
Si un intrinciste concède que la valeur des jeux vidéo ne s'applique qu'aux humains, il concède en même temps que la valeur n'est pas indépendante de celui ou celle qui évalue. Et ce fait n'est pas le fruit d'une décision arbitraire : c'est un fait objectif que les jeux vidéos peuvent être bons pour les humains, mais jamais pour les lombrics. Et ce qui s'applique entre les espèces s'applique également au sein de l'espèce : Tel jeu est objectivement bon, non pas en lui-même, mais pour cette personne. (En fonction notamment de qui elle est, de son vécu, de ses autres valeurs, etc.)
Ainsi, la valeur objective d'un jeu est à la mesure de la satisfaction réelle qu'il procure, de ce qu'il nous apporte en réalité. Or, dans la mesure où nous avons des points communs, certaines valeurs seront plus ou moins les mêmes pour toutes (pour poursuivre notre analogie, manger du sable n'est bon pour personne). Et dans la mesure où nous sommes différents (âge, sexe, nationalité, culture, vécu...) certaines valeurs différeront objectivement d'un individu à l'autre.
QUELLES IMPLICATIONS POUR LES DISCUSSIONS ?
L'intrincisme implique que dès que les avis diffèrent sur un jeu, il y a d'un côté ceux qui "voient" sa valeur (ou son absence de valeur) et ceux qui ne la "voient pas". Le fait que l'expérience que vous avez eu sur tel jeu soit la plus intense de votre vie ne doit pas influencer votre jugement : si le jeu est "intrinsèquement nul", vous vous trompez. Réciproquement, si vous n'avez pas pris le moindre plaisir à jouer à tel jeu, cela ne doit pas rentrer en ligne de compte si le jeu est "intrinsèquement bon" : vous vous trompez aussi. Mais alors comment "voit" on les critères de valeurs intrinsèque ? Puisque c'est intrinsèque, toute discussion est insoluble et impossible parce que ces critères ne peuvent provenir d'aucune décision ou expérience humaine ni d'aucun jugement d'un individu. Dans les faits, on résout le problème par la révélation : un ou plusieurs individus décrètent quels critères sont appropriés ou non. Comme tout le monde n'a pas les mêmes révélations, c'est là où porte le débat, et celui-ci risque d'être agité eu égard au fait qu'il ne peut y avoir qu'un seul avis valable, tous les autres étant nécessairement erronés, peu importe leur expérience.
Dans une perspective subjective de la valeur, au contraire, tout le monde a raison, donc personne n'a ni raison, ni tort. Tout exposé ou argumentation sur ce pourquoi vous avez aimé ou détesté tel jeu est sans intérêt, voir dénué de sens puisque le subjectivisme implique une étanchéité totale de ce qui se passe dans la tête de chaque individu.
La théorie objective de la valeur est la seule qui permet à chacun d'expliquer et d'argumenter sur ce qu'il a aimé et pourquoi, dans le respect des différences d'opinion, à condition bien sûr que chacun soit honnête et indépendant dans son jugement, mais ça, c'est un autre sujet. Un tenant de la théorie intrinsèque, qui sera en toute logique obsédé par l'idée de savoir qui a raison ou tort en ce genre de matière, pourra reprocher à la théorie objective de ne pas permettre de "trancher" la question de savoir si en définitive tel jeu est bon ou pas. Or il s'agit là d'une illusion doublée d'une erreur, car non seulement, comme on l'a vu, la théorie intrinciste ne permet pas de trancher davantage, et qui plus est c'est un non-sens de vouloir "trancher" de façon universelle. Celui qui tranche, c'est l'individu, par son expérience, par un jugement indépendant et honnête qu'il peut ensuite expliquer, partager et dans lesquels d'autres se retrouveront....ou pas. C'est d'ailleurs ce que fait Hooper depuis plus de dix ans.
Note : Équivoques sur les notions d'objectif et de subjectif
Une confusion courante vient de l'amalgame entre :
- "objectif" et "universel" (ou "impersonnel")
- "subjectif" et "personnel"
Ces confusions s'appuient sur des équivoques sur la définition des mots. Comme on l'a dit, ces mots ont plusieurs significations. Il est primordial de savoir quelle signification est appropriée dans quel contexte. En ce qui nous concerne, nous avons établi les définitions plus haut. Dans le contexte qui nous intéresse, objectivité et subjectivité, on le rappelle, sont des processus mentaux. Le premier reconnaît la réalité, le second l'ignore.
Il est primordial de distinguer "objectif" et "universel". L'objectivité, on l'a vu, est la reconnaissance d'un fait de la réalité. Or ce fait peut être tout à fait personnel sans pour autant être subjectif : une maladie, un handicap, une douleur, une sensation de chaud ou de froid, un orgasme, etc. sont des expériences personnelles, tout en étant des faits de la réalité, parfaitement objectifs. Un "fait subjectif" est une contradiction dans les termes parce que la volonté ne peut pas altérer la réalité.
Il faut donc également distinguer "subjectif" et "personnel". Subjectif ne signifie pas "qui varie d'un individu à un autre", mais qui est relatif au sujet et uniquement à lui, sans relation avec la réalité objective. La théorie de la valeur subjective prétend que le "bon" n'a pas de rapport avec les faits de la réalité, qu'il est un produit d'un désir ou caprice arbitraire du sujet. Au contraire, la théorie de la valeur objective prétend que le "bon" est le produit de la relation positive entre l'individu et la réalité (le jeu) et que l'individu n'a pas le pouvoir de décider lui-même que cette relation sera positive, de la même manière qu'il n'a pas le pouvoir de décider qu'il a besoin de nourriture pour vivre : c'est la réalité qui lui impose. Pour autant, ceci n'implique pas que cette relation sera la même pour tout le monde.
(Il existe encore une autre théorie de la valeur, la théorie "collectiviste", qui est tellement absurde qu'elle ne mérite pas tellement qu'on s'y attarde. Cette dernière prétend que la valeur du jeu dépend du nombre de gens qui l'ont aimé. Un jeu est bon si beaucoup l'ont considérés comme bon. C'est évidemment un raisonnement qui implique une récursivité infinie.)
Laisse tomber les topics intéressant n’intéressent plus personne :D
J'ai lu ton pavé, je suis pas d'accord avec quelques trucs mais le raisonnement est correcte et c'est ce que parfois je mène comme combat sur le forum quand je dis quelque chose pour un jeu X.
Je ne sais pas si je procède d'une telle maniere quand je porte un jugement perso (ce qui je fais souvent d'ailleurs), parce que sa "valeur intrinsèque" titille mon "envie de" par rapport a mon experience sur le dit jeu mais aussi les expériences passé sur d'autres qui amènent une comparaison "logique" inévitable mais aussi "illogique" car selon moi le gameplay d'un jeu peut être bon si il m'apporte ce que je souhaite et me fait plaisir, par contre ce même gameplay peu être insuffisant pour une autre personne et c'est viable.
Dans ce cas qu'est ce que vraiment "intrinsèque" vu que dans un cas ça fonctionne dans un autre non, ou alors c'est la personne elle même qui juge de son point de vue ce qu'est intrinsèque et prône une objectivé finalement subjective.
D'ailleurs ton dernier paragraphe en italique en fait allusion et c'est pas a écarter car beaucoup de gens se pensent objectifs selon X raisons et pensent avoir saisi ce qu'est la valeur intrinsèque du jeu alors qu'ils ont tord vu que c'est un jugement perso.
Un Super Mario Bros peut être une maitrise sans nom pour une personne que ça soit gameplay/level design ou une autre dira "mouais Mario" bof c'est Alex Kid en différent.
Évidement si on intervient dans une telle conversation on appuiera peut être l'avis qui nous correspond mais partager un mensonge avec tout le monde ne le rend pas vraie et ton texte en italique le dit également.
Bref, je like :)
Eprouver de la satisfaction est un fait, c'est certain, mais la satisfaction éprouvée (ou non) dépend de chaque individu. Elle est donc, dans l'absolu, subjective, non ?
Sans influence extérieure ET personnelle. C'est bien pour ça que l'objectivité est impossible à atteindre puisque nous ne voyons (et jugeons) le monde qu'à travers le prisme de notre propre subjectivité. Nous somme irrémédiablement subjectifs ^^
Si je juge que ceci est bon pour moi, je suis influencé par mes propres préférences, du coup on est bien dans la subjectivité, non ?
Une fois encore, si énoncer si on a aimé ou non quelque chose est bien un fait (j'ai aimé/je n'ai pas aimé... c'est un fait :P), ce sentiment est, lui, totalement subjectif (car propre à chacun).
Un jeu ne peut pas être "objectivement" bon, puisque ça sous-entendrait que c'est un fait. Or, non, puisque certaines personnes aiment ledit jeu (quel qu'il soit) et d'autres non ^^
Et si on prend la théorie objective à la lettre, le fait que des gens aiment et d'autres n'aiment pas - ce qui est un fait dans les deux cas - alors ça voudrait dire que le jeu est "objectivement" bon et mauvais... Ou alors ça voudrait dire que l'objectivité n'est propre qu'à chacun et ne prend en compte que les faits que chaque individu énonce (moi j'ai aimé / moi je n'ai pas aimé)... mais du coup, cette objectivité serait... subjective, non ? ^^
Team Mimic en ostryer de Vriginie
"All those moments will be lost in time, like tears in rain."
You gain brouzouf
My legs are ok
Et une "objectivité subjective" ne veut rien dire. L'objectivité c'est la reconnaissance de fait de la réalité. La subjectivité, c'est faire un choix où la réalité n'entre pas en ligne de compte.
Quel rapport entre mon paragraphe en italique et ce que tu dis ?! La prétention à percevoir la valeur intrinsèque, je ne le traite absolument pas dans ce paragraphe, mais dans le premier paragraphe de "Quelles implications pour les discussions ?". Mon paragraphe en italique concerne une toute autre théorie d'après laquelle la valeur résulte d'une évaluation collective, ce qui est un raisonnement circulaire.
Génération Mega Drive
Je trouve ton argumentaire pas mal même si deux-trois petites choses coincent peut-être un peu.
Est-ce que la subjectivité n'entrerait pas en ligne de compte dans ton raisonnement à partir du moment où on tenterait d'expliquer le pourquoi de la chose ? En d'autres mots, est-ce qu'on peut vraiment avoir un jugement indépendant et honnête lorsqu'on tente d'expliquer pourquoi une chose est bonne pour nous ?
Enfin, est-ce que tu n'oublies pas l'état d'initiation de la personne lorsqu'elle émet un avis critique sur une question d'art par exemple ?
"La plus grande consolation pour la médiocrité est de voir que le génie n'est pas immortel" (Johann Wolfgang von Gœthe)
T'as aussi dit "absurde".
Effectivement je savais que t’allais sursauter dessus, mais j'avais pu aussi dire "vérité" car c'est pas parce que 200 personnes aiment Zelda que 100 qui ne l'aiment pas ne détiennent pas la vérité.
Sinon apparemment t'as bien compris parce que mon texte ne contredisait pas ton texte mais donnait un point de vu ou le complétait d'une certaine manière, une discussion n'est pas toujours synonyme de VS.
Je n'approuve pas les textes que je ne trouve pas intéressants...
Génération Mega Drive
Oui mais il sera subjectif car tu l'explique de ton vécu.
Génération Mega Drive
Dit comme ça, je suis globalement d'accord.
De toute façon, j'ai toujours préféré lire et entendre des avis critiques et distanciés — quel que soit le sujet — et ce même si je ne suis pas d'accord. Je pense savoir la raison de ce topique et je suis plutôt de ton avis ;-)
"La plus grande consolation pour la médiocrité est de voir que le génie n'est pas immortel" (Johann Wolfgang von Gœthe)
Génération Mega Drive