Qu'écoutez-vous en ce moment

@ GreenSnake : Salut à toi. Cela me fait penser à une interview de Chaplin, à l'époque où il tournait Le Dictateur. Il disait ceci : « La musique de film ne doit jamais ressembler à de la musique de concert. Même si elle peut en réalité transmettre plus au spectateur-auditeur que la caméra à certains moments, elle ne doit jamais cependant être autre chose que la voix de cette caméra. » Mais ce qui était vrai en 1941 ne l’est plus aujourd’hui. Le rôle de la musique de film a drôlement évolué depuis. De nos jours, après Herrmann, Morricone, Goldsmith, Rota et bien d’autres, elle est considérée comme œuvre musicale à part entière. Elle n'est plus envisagée comme infailliblement subordonnée à ce qui se passe à l'écran. Beaucoup de gens en écoutent parce qu'il s'agit de pièces, quand elles sont bien écrites, qui se suffisent à elles-mêmes, et non parce qu'ils se rejouent le film dans leur tête en même temps. Perso, dans ma discothèque, j’ai certaines BO dont je n'ai pas vu le film, ou si je l’ai vu, à mon sens il était bien en deçà de la partition. Et pourtant, en 2024, encore certaines personnes assènent en souriant : « La musique de film ? Attends, c’est juste un tapis, un complément, c’est pas du Stravinsky ou du Prokofiev, faut pas déconner ! » Le Sacre, Petrouchka ou Roméo et Juliette sont des musiques de ballet, c’est-à-dire qu’elle ont été écrites pour la scène.

1) A-t-on besoin de voir le ballet pour en apprécier la musique ?
2) En quoi la musique de scène serait-elle supérieure à la musique de film ?

Une chose est sûre, et c’est Quincy Jones je crois qui disait ça, pour une BO, le compositeur ne peut pas pondre du Stravinsky ou du Prokofiev à chaque coup, sinon il fait un infarctus. Le temps imparti à l’écriture du score, hyper serré, sans parler du budget – à l’époque les producteurs accordaient 20 % pour la musique, alors que Walt Disney (le bonhomme) 50 %. On comprend mieux l’ambition de Fantasia. Et puis, en d'autres cas, la musique doit se faire plus discrète selon le ton que le réalisateur veut donner.

Guéreau, après avoir fait plusieurs vidéos sur le déclin de la musique des James Bond ou des dessins animés TV actuels, et de la variété française (certes, le catastrophisme, le dénigrement ça fait toujours des vues, mais Guéreau possède un don qui vaut son pesant d’or que j’appellerais « volonté de transmettre », et il a également l’exacte notion des points névralgiques de notre crise civilisationnelle au sens politique), Guéreau, donc, s’aperçoit que la qualité d'écriture s’est déplacée vers un autre médium. Comme toi, Snake, je crois qu’il a été mal conseillé pour cette vidéo. Mais peut-être aussi qu'il surjoue sa méconnaissance : étant père d’un gamin, et malgré sa vie bien remplie (enseigner à la BEPA, sortir des disques, partir en tournée, écrire des méthodes, des romans, faire des vidéos…), bref, il est peu vraisemblable qu’il soit passé à côté d’un tel phénomène. Or, parmi ses viewers, y en a beaucoup (tranche d’âge 45-65 ans) qui eux ont sans doute connu Space Invaders, Pac-Man, l’Atari, la Coleco, voire la NES, mais qui ont décroché par la suite et n’ont pas suivi l’évolution, soit par manque de temps ou perte d’intérêt. Comment les embarquer ceux-là qui ignorent encore qu’il y a un monde, là, en pleine effervescence ? Du reste, au même titre que la musique de scène ou de film, a-t-on forcément besoin d’avoir joué au jeu pour en apprécier la musique au point d’en faire son OST de chevet ? Alors, pour ces gens, voilà une vidéo que rien d’autre jusqu’ici n’avait guère mis en œuvre de manière satisfaisante : Guéreau en tant qu’instrument qui transforme l’Inconnu en Connu figure dans la galerie des transmetteurs de culture. Maintenant il ne lui reste plus qu’à sortir un disque de jazz, style « Herbie Hancock – The New Standard », en revisitant les ziques de JV qui l’ont le plus touché. Il y a le 8-bit Big Band (vidéo ci-dessous) qui exploite déjà l’idée. Mais avec Guéreau, formé par Bernard Maury qui lui a transmis son amour pour Bill Evans, un trio piano-basse-batterie apporterait une couleur intimiste plus touchante.

The 8-Bit Big Band (ft. Patrick Bartley, sax solo)

Étienne Guéreau revisite "Étienne", de Guesch Patti