Recueil de Nouvelles

« Ouais, t'as pas tort. Mais bon tu sais, il est comme ça le temps. Il s'écoule sans discontinu, et cela sans qu'on puisse l'arrêter ou même le maîtriser. C'est assez frustrant quand on y pense, d'être aussi dépendant du temps. Mais bon, là il se trouve qu'on en ai un peu devant nous, donc vas-y mollo sur la pédale, hein. »

« T'inquiètes pas, va », me répondit-il avec un large sourire. Il semblait sûr de lui.

5 jours plus tard …

Voilà. On y est. C'est le grand jour. Je vous avoue que j'appréhende énormément le déroulement de cette journée. Je suis seul pour le moment, seul dans cette immense église. Immense et magnifique. Car il faut dire que le vitraux qui ornent les murs de cette bâtisse moyenâgeuse sont d'une rare beauté. Il me semble entendre un bruit. C'est le grincement de la lourde porte en bois rongée par le temps qui sert d'entrée à ce sanctuaire sacré. C'est le prêtre. Il a une dégaine qui ne me plaît guère, je dois bien l'avouer, mais bon, il fera l'affaire. Le voilà qui s'assit à mes côtés. Il se met à attendre. Moi aussi. Je n'ai pas grand chose d'autre à faire, en même temps. Les heures passent, et j'attends toujours, avec ce vieux débris à la face rabougrie à côté de moi.

Mais voilà que les premiers invités font leur apparition. C'est mes parents. Ils sont habillés élégamment, ça change. Mon père porte le traditionnel costume noir, avec la sempiternelle cravate grise couverte de rayures obliques. Ma mère, quant à elle, est habillée d'une jupe et d'un chemisier, constituant une tenue relativement sobre, ce qui n'enlève cependant rien au côté chic de son habillement. Le grincement strident de la porte vient à nouveau de retentir. C'est désormais une foule de personnes qui s’apprête à pénétrer au cœur de la nef. Parmi cette masse de personnes, je reconnais quelque uns de mes amis ainsi que ceux de ma fiancé, et des membres de ma famille. Mon regard se porte avant tout sur Henry, mon vieil oncle basque. Avec son imposante barbe grise, je le reconnaîtrais à des kilomètres. Ça me fais plaisir de le voir ici.C'est une personne qui j'apprécie énormément, et je sais que c'est réciproque. A côté de lui se tient un de mes vieux amis, Adrien. Je dois dire que je suis surpris qu'il est accepté de venir. Lui et moi étions inséparables au lycée, et je le considérai comme l'un de mes meilleurs amis. Mais la situation s'est malheureusement dégradée, nous nous sommes éloigné petit à petit, jusqu'à carrément ne plus s'adresser la parole. J'aurais vraiment du mal à déterminer le pourquoi du comment de cet éloignement. J'en avais énormément souffert à l'époque, et je lui en ai toujours voulu de m'avoir en quelque sorte abandonné. Mais le fait qu'il soit présent aujourd'hui prouve qu'il ne m'a pas complètement oublié, et je peux vous certifié que ça me fais vraiment chaud au cœur.

Je peux apercevoir un peu plus loin mon beau-père. Philosophe dans l'âme, il m'a appris une foule de choses sur la vie, et sur les autres. C'est grâce à cet homme que je me suis rendu compte que je ne connaissais pas réellement les gens autour de moi. Ces gens avec qui je vis, avec qui je passe mes journées, à qui je me confie même. Hé bien au final, que savais-je d'eux, à part leur nom, leurs passions, leur caractère et tout ce genre de choses futiles ? Savais-je leur passé ? Ce qu'ils ont enduré comme épreuves avant que je fasse leur connaissances ? Leurs problèmes ? Leur ressenti sur telles ou telles choses, telles ou telles actions ? Non. Et c'est en se posant ces questions que l'on comprend qu'on connaît une personne sans véritablement la connaître. C'est un peu comme lorsque qu'on se rend à la bibliothèque, que l'on parcours les étagère rempli de vieux livres poussiéreux, et que l'on s'arrête sur un livre qui nous semble intéressant, parce qu'il a une jolie couverture. On le prend, on le regarde sous toutes ses formes, puis on lit le résumé. Ensuite, on le repose, sans prendre la peine de le lire, car on pense qu'avoir lu les quelques lignes de la quatrième de couverture suffit à connaître le livre dans son intégralité. En réalité, nous sommes tous des livres posés sur une étagère, et que l'on prend et repose sans cesse jusqu'à notre mort. Et je remercie mon beau-père de m'avoir faire prendre conscience de ceci.

Le voilà d'ailleurs qui s'assoit avec tout les autres. Il semble que l'on attend désormais tous la même personne. Ma fiancé, Lucie. Au bout de cinq minutes d'attente, la voilà enfin. Elle est radieuse et resplendissante, comme le soir d'automne où nous nous sommes rencontrés. Je m'en rappelle comme si c'était hier. Je me promenais comme à mon habitude sur Trafalgar Square, quand je la vît assise au bord d'une fontaine. Je m'étais assis à quelques mètres d'elle, et je ne pouvais m’empêcher de la regarder. J'étais littéralement envoûté par sa beauté. Bien sûr, il était impensable pour moi d'aller à sa rencontre et de lui parler. Mais tous les soirs je la voyais assise au même endroit, et tous les soirs je me mettais dans un coin pour la regarder au loin, en soupirant, car je savais pertinemment que ne n'oserai jamais l'aborder. Cependant, un soir, je fût pris d'une étrange sensation et, à mon grand étonnement, me dirigea vers elle pour aller lui parler. Et je pense que vous vous doutez de la suite. Ce fût le parfait coup de foudre. Si je devais revivre ne serait-ce qu'un moment dans ma vie, ce serait celui-là. Sans hésitations.

Tiens, la cérémonie commence enfin. Vous savez tous comment se passe ce genre d’événements, je pense qu'il est inutile que je vous décrive tout dans le moindre détails. C'est bien sûr un moment fort en émotions, et j'en ai d'ailleurs la boule au ventre et la gorge serrée. C'est une sorte de consécration, en fait. La cérémonie est terminé, ce fût rapide mais intense. Je me dirige vers la sortie de l'église avec ma femme à mes côtés. Tout le monde se lève et commence à nous suivre. Nous avons un peu de marche devant nous, ça me laisse le temps de vous parler de mon frère, Charlie. Il a cinq ans de plus que moi, et c'est une personne extrêmement importante à mes yeux, et sur qui j'ai toujours pu compter. Malgré ça, je dois vous avouer que j'ai souvent été jaloux de lui. C'est vrai, il a tout de plus que moi. Il chante bien, c'est un musicien hors pair, tous le monde l'aime bien, toutes les filles sont raides dingues de lui … j'ai beau chercher, je ne lui trouve aucun défaut. Mais c'est aussi pour ça que je suis fière d'être son frère. Il est un exemple pour moi.

Nous sommes arrivés. C'est une belle journée aujourd'hui, il fait chaud et les oiseaux chantent. Bref, ça semble être une journée parfaite. Mais je n'ai plus le temps d'apprécier toutes les merveilles de la nature, car on dirait bien que ça commence. Tout le monde est silencieux. Le silence se fait même écrasant, et ça me met terriblement mal à l'aise. Je pense qu'il est temps d'y aller maintenant, l'entrée est juste devant moi. Me voici désormais à l'intérieur. Ils me regardent tous. Leurs yeux sont brillants, aussi brillants que le soleil au-dessus de leurs têtes. J'entends un bruit sourd. C'est l'entrée qui se retrouve désormais scellée. Je commence à paniquer. L'espace d'un instant, je ne comprend plus ce qui arrive. Je ouïs des bruits de pas. Tout le monde part. Tout le monde m'abandonne. Tout le monde va désormais tourner la page. Je me retrouve seul maintenant. Enfin presque, car j'entends la voix de mon frère. Il parle tout doucement, et je peine à entendre ses murmures. Je parviens tout de même à entendre quelques phrases :

« Je suis désolé. Je ne sais pas si je parviendrai à me pardonner. Mais ne t'inquiètes pas, un jour, nous nous retrouverons p'tit frère. Oui, je te le promet. »

Je m'appelle Liam. Je suis mort il y a cinq jours dans un accident de voiture, et mon frère était le conducteur. J'espère que vous avez apprécié ce moment en ma compagnie, car c'était le dernier. Mon enterrement vient à l'instant de s'achever.