Gris

Gris est une merveilleuse œuvre d'art. De la même espèce que celles que l'on trouve dans un musée exposant des peintures. La nationalité espagnole de ce petit studio n'est pas anodine dans son esthétique magistrale que l'on croirait sortie d'une fructueuse rencontre de Gaudí et Dalí au royaume de Miyazaki. Ce jeu indépendant est effectivement un bijou d'épure artistique, une suite d'aquarelles sidérantes et un véritable poème visuel. Chaque tableau apaise autant qu'il déchire, chaque note de sa très belle musique, enchante en gagnant un subtile point d'alchimie avec le visuel. Nomada Studio développent une œuvre radicale, très courte, mais dont on ressort finalement en ayant l'impression d'avoir parcouru bien des univers.
Il s'agit d'un des rares jeux vidéo à atteindre un tel niveau pictural au style presque crayonné dont les tableaux semblent se dessiner au fur et à mesure du temps qui s'effrite. L'animation est également particulièrement soyeuse. Bien entendu, il n'y a pratiquement aucun gameplay puisque seule compte l'expérience, qui, du coup, enivre. Il est primordial de lâcher prise face aux hameçons du tout immédiat avec cette pépite exigeante, ô combien à contre-courant avec son temps.
En plus, les petites mains qui ont bâti cette épopée mystique ont le bon goût de ne pas recourir frontalement à un étalement de plus en plus convenu d'assistanat explicatif sur leurs métaphores filées comme celles relatives à la fin de vie, à la dépression ou encore à l'introspection, thèmes émoussés par de précédentes œuvres vidéoludiques indépendantes. Ici, presque à la manière d'une improvisation, le conte bouleverse par sa capacité à provoquer de grandes embardées sur un terrain "dé-balisé". Alors, galvanisé par la seule toute puissance de l'art, le jeu se permet de splendides digressions surréalistes et absurdes, au risque de frustrer les plus terre à terre. Méthode risquée et à saluer au vu du profil des gamer actuels, plus destinés à du rythme qu'à de la poésie.
Il est donc important de remercier vivement le Hooper de nous avoir proposé ce live étonnant, à des années lumières des autres jeux vidéo, qui plus est cohérent avec la période des fêtes de fin d'année. Merci d'avoir donné la chance à ce Gris, qui serait pour beaucoup resté dans l'oubli sans le Gros Ours, afin de diversifier encore plus la palette de ses vidéos en en métissant intelligemment les couleurs. En effet, semblant venir d'une autre galaxie, cette grande sœur du Petit Prince aspire à retourner sur sa planète au cours d'un voyage unique se défaisant des carcans mercantiles auto-imposés par les joueurs dont le dépouillement total qui laisse K.-O. est à l'origine de sa poésie et pourrait bien prouver que le jeu vidéo est avant tout une magnifique forme d'art.